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Bosnie Herzégovine

Mostar

Nous roulons les derniers kilomètres qui nous séparent de Mostar, au début le long de la rivière Neretva. Nous tombons nez à nez avec un énorme viaduc en construction, faisant partie des nouvelles routes de la soie, que la Chine est en train de construire notamment en Europe. Le but est ici de rapprocher la Chine de l’Europe occidentale. Multiples banques chinoises et entreprises de BTP chinoises (que l’on rencontre sur la route) s’activent dans ce projet pharaonique.

« Tout a-t-il commencé par le rachat du port du Pirée, quand la crise ravageait la Grèce ? Depuis 2009, la Chine n’a pas arrêté d’avancer ses pions dans les Balkans, en toute opacité. Tour d’horizon, de l’Albanie à la Bosnie-Herzégovine, en passant par la Macédoine du Nord, le Monténégro et la Serbie, le terrain de jeu favori de Pékin. »

https://www.courrierdesbalkans.fr/la-longue-marche-de-la-chine-vers-les-balkans

Les travaux sont impressionnants par leur ampleur, et témoignent des ambitions stratégiques de la Chine pour les prochaines décennies.

A l’arrivée dans l’agglomération de Mostar, nous passons devant une usine de production de lingots d’aluminium. Nous avons beau scruter les alentours, nous ne voyons pas où se trouve la mine, et pourtant, elle doit bien être dans le coin. Au plus on se rapproche, au plus la circulation est dense et stressante. Il y a même une imbécile qui frotte son rétro à notre guidon et comble du comble, se permet de nous engueuler !! De quoi nous mettre en méga rogne. Heureusement, on est arrivé au centre ville et on s’arrête prendre un café pour se remettre de nos émotions. La température chute rapidement, et nous rejoignons la chambre que nous avons réservée. Après un repos bien mérité, nous repartons à pied nous balader dans la ville. Le centre historique, classé à l’Unesco, est super beau, les rues sont entièrement pavées de galets polis par les nombreux marcheurs. Au-dessus de la rivière Neretva, le magnifique pont courbé relie les deux rives de la ville (le pont est tout neuf, car il a été détruit pendant la guerre en 1993). D’un côté, ce sont les bosniaques qui sont majoritaires, de l’autre, les croates. Il semblerait qu’il reste des tensions de nos jours, plus ou moins fortes selon les périodes, notamment exacerbées lors de la construction de nouveaux édifices religieux (hauteur de clocher, installation d’une croix sur la montagne, …).

C’est vraiment très beau, mais encore une fois, il n’y a pas un chat dans les rues, et on sent bien qu’ici, c’est le royaume des touristes, absents en cette saison. Aujourd’hui, Mostar est la plus grande ville touristique de Bosnie. Elle fut aussi une ville frontière de l’empire ottoman, et on y retrouve encore quelques maisons à l’architecture typique.

Après une bonne bière locale, on peine à trouver un resto ouvert, et on finit par manger une bonne pizza.

Le lendemain, c’est parti pour visiter la ville ! Mais notre enthousiasme est douché par la pluie qui s’abat sur nous. Quel dommage !!! Nous n’allons pas pouvoir faire de belles photos du centre ville tout mignon ! Et malheureusement, tout est fermé ici entre novembre et avril, donc pas de musées ! Il y avait aussi une mosquée où on pouvait monter en haut du minaret, fermée. Quelle frustration ! 

Nous marchons donc beaucoup dans la ville, ouvrons grand nos yeux sur la diversité des bâtiments : certains vestiges de l’ère soviétique, de nombreuses ruines laissées telles quelles au milieu des ruelles passantes, avec un grillage et des panonceaux “ruines, danger”, des murs criblés d’impacts de balles, …

Nous mangeons le midi dans un tout petit bouiboui local qui fait des boulettes de viande dans un pain kebab. Puis nous nous éloignons un peu du centre et arrivons devant l’église catholique Saint Pierre et Saint Paul. Elle est immense et a été reconstruite après la dernière guerre. Malheureusement elle est fermée, dommage car on était bien curieux de voir l’intérieur (et finalement, on aura pu visiter aucune église en Bosnie !). Par contre, son clocher, juste à côté, culmine à 107 m de hauteur et est le plus haut du pays. Et lui, il est ouvert et on peut grimper au sommet, ce qu’on s’empresse de faire. Bon au final, tout en haut il n’y a que quelques fenêtres étroites pour voir la vue, et on est un peu éloigné du centre, donc ce n’est pas si terrible que ça. Tant pis, pas de regret de ce côté-là.

On finit notre visite de la ville par un crochet au cimetière des partisans. Là encore, nous voilà bien démunis à notre arrivée : rien ne l’indique, aucun panneau ne l’explique. Nous sommes dans une espèce de grand parc en friche, avec des espèces de structures en béton tout abimé. Plus on monte, plus on voit des petites stèles par terre. Tout cela reste bien mystérieux pour nous sur le moment. A notre retour, une petite recherche sur internet s’impose !

“Although this cemetery is sadly neglected and badly vandalised, fans of 20th-century socialist architecture should seek out this magnificent memorial complex, designed by leading Yugoslav-era architect Bogdan Bogdanović and completed in 1965. Paths wind up past a broken bridge, a no-longer-functioning water feature and cosmological symbols to an almost Gaudi-esque upper section made of curved and fluted concrete, which contains the graves of 810 Mostar partisans who died fighting fascism during WWII.”

Nous restons une 2e et dernière nuit à Mostar. Pour la suite du voyage, on serait très tenté de continuer un peu en Bosnie, notamment de pousser jusqu’à Sarajevo la capitale. Mais cela implique de gros dénivelés… Au final, un rapide coup d’œil à la météo nous convainc en deux secondes : à Sarajevo, la température maximale, pour les 15 jours à venir, ne dépasse pas les -13°. Okok, il ne nous en fallait pas tant ! Ce sera donc retour direct en Croatie, du côté de la côte, histoire de regagner quelques précieux degrés !

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Ciro train et chutes de Kravica

Le lendemain, nous quittons Dubrovnik, et gravissons la côte qui nous sépare de la frontière avec la Bosnie Herzégovine. Nous la traversons sans encombre ; encore une fois, ils ne sont pas très regardants et ne vérifient aucun papier lié au covid.

Juste après la frontière, on bifurque pour prendre une toute petite route, elle suit le tracé du Ciro train, le fameux train dont parlait Marko ! Construit sous l’empire austro-hongrois, qui contrôlait la région entre la fin du 19e siècle et le début du 20e siècle, cette ligne faisait partie d’un réseau dont l’objectif premier était militaire et permettait de relier la cote adriatique aux villes d’Europe centrale.

Premières maisons croisées, premières ruines et premiers murs criblés d’impacts de balles. Ça donne le ton ! On était prévenu, mais le voir sous nos yeux, c’est autre chose.

Toute la journée, nous croisons très régulièrement les bâtiments abandonnés des anciennes gares et locaux techniques. Autour, les restes de villages, mais toujours, il n’y a pas âme qui vive par ici. C’est une impression assez étrange. Certains bâtiments sont bien abîmés, d’autres moins. Parfois lorsqu’on glisse un oeil par la serrure, on voit derrière un intérieur meublé, certes un peu défraichi, mais où on pourrait très bien imaginer quelqu’un vivre aujourd’hui. Tout semble avoir été laissé tel quel, lorsque le dernier habitant a quitté les lieux.

Un peu plus loin sur la route, nous voilà confrontés aux panneaux “danger de mort, zone minée”. Ça aussi on était prévenu, mais pareil, ça fait froid dans le dos de longer ces panneaux disposés presque tous les 10 m.

En effet, en Bosnie (comme d’ailleurs dans quelques autres pays des Balkans), le déminage suite à la dernière guerre n’est pas terminé. Dans les zones concernées, on trouve donc ces panneaux (et on nous a bien dit, même pour faire pipi, de ne pas mettre un pied en-dehors du chemin), et une application sur téléphone existe pour repérer les endroits à éviter (notamment ça vibre dans la poche quand on s’approche près d’une zone minée).

Le travail de déminage est toujours en cours, et entre 1996 et 2000, ce sont 69 202 mines anti-personnel, 8 554 mines anti-tank et 61 456 ERW (Explosive Remnants of War) qui ont été trouvées et détruites. Il resterait un peu moins de 1000 km² de surface minée sur le territoire (dont la surface totale est d’environ 51 000 km²).

Les opérations de déminage ont été entravées notamment par les inondations de 2014, car de nombreux glissements de terrain ont pu déplacer des mines non désamorcées et les panneaux les signalant, et rendre caduque le travail déjà effectué.

Depuis la fin de la guerre, 1767 personnes auraient trouvé la mort à la suite d’un accident lié à l’explosion de mines, dont 133 démineurs. Les civils les plus exposés au risque d’explosion des mines sont des hommes, agriculteurs. Par ailleurs, en raison de la situation économique pauvre du pays, des personnes pénètrent délibérément des zones où la présence de mine est suspectée, pour subvenir à leurs besoins vitaux (récolte de bois de chauffage, recherche de métaux pour la revente). On recense le plus d’accidents à l’automne et au printemps (travail dans les champs et récolte de bois de chauffage dans la forêt). A l’école, les enfants reçoivent des formations spécifiques sur le risque lié à l’explosion de mines.

Pour plus d’infos sur le sujet, sur les actions en cours et le Bosnia and Herzegovina Mine Action Center (BHMAC), c’est par ici.

Nous longeons un versant côté ombre, il fait bien frais. A notre gauche, la montagne puis la mer et Dubrovnik derrière. A notre droite, une immense plaine vraisemblablement minée, étant donné la densité des arbustes qui la recouvrent et l’absence totale de culture. La vue est chouette, et au moins, on n’est pas dérangé vu l’affluence nulle sur cette route ! Elle n’est d’ailleurs pas en très bon état, et nous nous mangeons un bon gros nid de poule, qui ne pardonne pas : le pneu avant se dégonfle d’un coup !! Merde ! On a deux belles entailles de 5 mm chacune sur la chambre à air, mais par chance, pas d’autre dégât sur la jante ! Ouf !

Pour le midi, heureusement qu’on avait des lentilles de la veille, car il n’y a vraiment aucune vie, même pas un chat dans les villages qu’on traverse. On commence par contre à s’inquiéter pour le soir, car on n’a pas de stock de nourriture à part quelques pâtes, ni d’eau ! Plus la journée avance, plus on se demande comment on va faire ! 

Bref, voilà une belle mise en jambe qui attise notre curiosité sur ce pays méconnu. Pas facile d’y voir clair dans son histoire récente, et ses différents habitants, les bosniaques (soit les musulmans de Bosnie, et non les habitants de Bosnie, qui eux sont les bosniens), les serbes (orthodoxes) de la république serbe de Bosnie, les croates (catholiques)… Les uns parlent serbe (et écrivent en cyrillique), d’autres croate, et les derniers bosnien, mais il s’agit au final d’une seule et même langue ! Les tensions sont encore bien fortes aujourd’hui entre ces différentes ethnies. Par exemple, les panneaux routiers de direction sont toujours écrits en caractères romains et en cyrillique, et nous voyons souvent sur notre route des panneaux où l’inscription cyrillique est barrée (et probablement qu’on aurait constaté l’inverse dans les territoires de la république serbe de Bosnie). 

Pourtant, la manière dont est gérée la présidence du pays pourrait nous laisser penser qu’au contraire, les trois ethnies cohabitent bien. En effet, il y a ici une présidence collégiale : 3 présidents, un par ethnie, sont élus simultanément. Les trois présidents alternent à tour de rôle à la tête de la présidence collégiale, pour une période de 8 mois. 

La route que nous suivons aujourd’hui longe la frontière entre la république serbe de Bosnie et la fédération de Bosnie Herzégovine. Elle a été le lieu de violents combats, et d’épuration ethnique. Tous les villageois ont été expulsés et leurs maisons minées pour ne pas qu’ils reviennent. On comprend mieux pourquoi notre route est totalement désertique !

Le jour commence à décliner quand nous atteignons un village un peu différent des autres : il y a des panneaux touristiques, un hôtel et un resto ! Tous sont fermés, car on est hors saison, mais ils ne sont pas abandonnés ! Retrouverait-on la vie ? On y tombe sur un petit bar, qui ravive notre espoir. Mais c’est peine perdue : déjà, le serveur est une porte de prison, il ne semble pas apprécier qu’on ne parle pas sa langue. Et puis, problème majeur, il ne prend pas la carte bancaire, et on n’a pas de liquide dans la monnaie locale ! Et bien sûr pas de distributeur avant… 20 km ! Impossible puisqu’il fait bientôt nuit !

On poursuit quand même un peu jusqu’au village suivant, Ravno. Rebelote, il y a bien un café, mais avec un serveur tout aussi aimable (des frères ? ^^) et qui ne prend pas la carte. 

Bon, changement de stratégie : on va maintenant toquer à une porte, trouver de l’eau, et chercher un endroit où planter la tente.

La porte s’ouvre sur une dame qui ose à peine mettre le nez dehors, mais qui accepte tant bien que mal de remplir nos gourdes. Ouf ! Mais ce n’est pas par ici qu’on va dormir ! On s’éloigne un peu du centre du village, et on repère une allée un peu couverte par la verdure. Il fait nuit maintenant, donc on va voir avec les propriétaires de la maison d’à côté si on peut s’installer là. Il est trop tard pour tergiverser, nous devons vraiment nous arrêter !

Trois personnes sortent de la maison, dont un monsieur qui s’écrit : “my house, my house !”. Voilà Božo, qui prenait le café chez des amis, qui nous intime de le suivre jusqu’à chez lui. Il fait nuit, il est en voiture, on pousse sur les pédales pour ne pas le perdre de vue, tout en se demandant : mais c’est où chez lui ? 🤔

Bon finalement après une dernière petite côte raide et 2 km, nous y voici ! 

Božo ne parle que quelques mots d’anglais, alors on bataille pas mal pour se comprendre, d’autant que nous n’avons aucune connexion internet et donc aucun traducteur disponible… 

Alors on s’installe dans ses fauteuils, il nous offre deux bières et on trinque, quel accueil ! Nous étions assoiffés ! Chacun prend une douche puis, alors qu’on commençait à réfléchir à lui demander si on pouvait utiliser sa gazinière pour faire cuire nos pâtes, Božo nous ramène du jambon trop bon avec olives et sirop grenadine maison. « My products » nous dit-il ainsi plusieurs fois avec un large sourire. Il est très fier de nous faire goûter ses produits ! Et nous sommes très impressionnés également.

Božo est un croate de Bosnie, et il a fui en Croatie après que sa maison a été détruite pendant la guerre. Il a vécu 25 ans à Dubrovnik, avant de revenir ici à Ravno. Nous comprenons qu’il tient un gîte ici l’été.

Nous ne sommes pas au bout de nos surprises, notre hôte tient à nous montrer tout le travail qu’il a effectué ces dernières années. On monte une petite bute et on voit des petites maisonnettes, prêtes (enfin presque) à recevoir de futurs touristes l’été. Plus haut, une magnifique terrasse domine la vallée, et la vue doit être grandiose (mais là il fait nuit) ! On sent que Božo est très fier ! Nous reviendrons demain admirer le levé du soleil nous dit-il, et c’est avec grand plaisir 🙂

En attendant, Božo nous montre une chambre – notre chambre ! – avec un grand lit double, et nous en sommes ravis !! 😊

Le réveil sonne à 7h. Nous prenons un café puis montons en haut de la terrasse comme prévu. La vue est splendide ! Le jardin est superbement entretenu, quel travail ! On visite par la suite la réserve de jambon. Bien entendu, Božo nous présente ses plus fidèles compagnons : Leo l’âne, Patrick le chat et Astor le chien.  

Nous quittons Božo avec émotion, il nous a accueilli à bras ouverts, et nous regrettons de n’avoir pu tenir de longues discussions avec lui en raison de nos difficultés à communiquer.

Nous retrouvons notre “ciro road” et nous arrêtons un peu plus loin, vers un abri de chasseur, pour petit-déjeuner. C’est une journée de montagne qui nous attend, nous avons besoin de prendre des forces ! La vue est belle, la route toujours peu empruntée. En contrebas, nous voyons une rivière canalisée longue de plusieurs kilomètres (68 au total, depuis Trebinje), et plus loin, un lac réservoir, d’où part une chute d’eau canalisée en tunnel sur 8,8 km de long. Elle se jette dans un deuxième lac (Svitavsko lake) tout en bas, après avoir traversé des turbines. De l’autre côté de la rive, on voit… des villages ! Il semblerait qu’on atteigne une partie plus vivante de la Bosnie !

A midi, on arrive dans un de ces fameux villages, où nous trouvons une épicerie, et le logo CB sur la porte d’entrée. Miracle !! On se lâche sur les courses, chocolat, biscuits, bananes… Sauf qu’en fait à la caisse, on ne nous prend pas la carte finalement. Quelle désillusion !! Ils tolèrent par contre les euros, et en raclant bien nos fonds de poche, on arrive péniblement à trouver 6 euros et quelques. Il nous faut reposer dans les rayons tout le superflu, on se contentera d’un pain (très bon, de la forme d’un disque de 30 cm de diamètre), d’un bout de fromage et de sardines. Un pique nique frugal quoi.

Plus tard dans la journée, nous traversons notre première ville, Čapljina, où nous ne ratons pas le coche et faisons de bons stocks de bouffe et d’argent liquide ! Nous voilà prêt pour camper ce soir, nous roulons encore un peu jusqu’aux chutes d’eau de Kravica.

C’est Susie et Sébastien, les cyclistes rencontrés en Grèce et avec qui nous avons dormi dans l’église, qui nous ont recommandé de dormir ici. En effet, au pied des chutes, il y a une ou deux petites cabanes de resto, qui doivent être blindées de monde l’été, mais en ce moment, elles sont fermées. Mais devant l’une d’entre elles, il y a une belle table de pique-nique abritée, une loupiote et … l’électricité ! Voilà donc un bivouac grand luxe, on est installé comme des rois, rincés avec l’eau de la rivière et avec une vue superbe sur les chutes.

Au réveil, nous avons la surprise de lire -3° sur notre compteur ! C’est notre nuit la plus froide jusqu’à présent, et étrangement, nous n’avons pas eu froid !

Nous quittons ce lieu enchanteur et roulons les derniers kilomètres qui nous séparent de Mostar.